mercredi 24 février 2010

Le pagne de la Première dame



« Que Dieu t'encourage dans tes activités. » J'ai entendu cette phrase des dizaines de fois depuis quatre ans que je me rends au Burkina Faso. Et à chaque fois, je réponds aux aimables personnes qui m'encouragent : « merci », en pensant très fort que si « Dieu » est aussi doué pour m'encourager que pour sortir le Faso de la pauvreté, j'aime autant qu'il ne se mêle pas de mes reportages.
Je préfère penser que l'âme de Norbert Zongo, mon confrère burkinabé « assassiné par un accident de voiture » il y a plus de dix ans, veille sur les activités des journalistes dans son pays.
Je m'intéresse pour l'instant à la ferveur pour la Journée internationale de la femme, le 8 mars. Je prépare un reportage sur cette fête qui dépasse Noël et Nouvel an réunis. J'ai en tête l'image de ces milliers de femmes au bord des routes, se rendant l'an dernier aux célébrations, habillées dans le même pagne (le fameux tissu africain souvent très coloré.)

Ce matin, j'étais au stade proche de zéro (un peu comme la température en Europe en ce moment, non ?), prête à me lancer, mais « à droite ou à gauche? » Ma question existentielle, étant donné que j'étais absente à la distribution du sens de l'orientation. Arrive alors Tantie J. (vous appelez « Tantie » une dame de l'âge de votre mère, et qui généralement veille sur vous), qui en moins d'un Fanta orange dans un maquis de mon quartier va me livrer la moitié du reportage.
Elle me raconte les dessous de la confection des pagnes du 8 mars : à J-15, c'est déjà trop la honte si t'as pas « le » pagne de la Journée de la femme ; c'est encore plus la honte sur toi si ton mari ne te l'a pas offert ; le jaune c'est trop, trop la classe parce que c'est la couleur choisie par la première dame, Chantal Compaoré, et donc le jaune vaut deux fois plus cher, etc.
Zou, on arrive dans le magasin qui vend le plus de pagnes à Ouaga. Là, j'interroge à mon micro une cliente en plein achat, qui n'est autre qu'une commissaire de police du commissariat central : en bref, une des très rares "madame la commissaire". Entre temps, Tantie J. a eu au téléphone la Directrice de la Promotion de la femme, qui est prête à me recevoir « tout de suite » dans son bureau.
Imaginons le même reportage à Paris : j'aurais mis une semaine à avoir la directrice de machin chose via son attachée de presse qui m'aura eue au téléphone mais m'aura demandé de formuler ma demande par mail, et le commerçant qui vend les tissus m'aurait dit : « mais enfin mademoiselle, vous voyez bien que je suis occupé. » Quant à croiser le Quai des Orfèvres chez le marchand du coin... En plus, j'ai pu acheter mon pagne du 8 mars au prix burkinabé, et pas au prix « Blanc », il ne me reste plus qu'à aller chez le tailleur.
Revenons donc à Ouaga. La directrice me reçoit avec un verre d'eau fraîche (c'est une tradition au Burkina quand on accueille un invité), un verre sur lequel je me rue, vu que dans la voiture de Tantie, il fait 50° (quand tu en sors, les 42° au dehors te fileraient presque un rhume). Et à ma première question, mon interlocutrice entame sa réponse par un : « D'abord, je vous remercie d'avoir eu l'honneur de votre sollicitation » (j'exagère à peine.) Bien sûr, elle a répondu à l'Africaine, et j'ai eu droit à l'énumération des circonscriptions et des sous-régions qui chapeautent la province au sein du gouvernorat, avec des noms à coucher dehors. Mais bon, c'est tout de même une cheville ouvrière de cette fameuse journée, et elle m'a donné du grain à moudre.
De retour dans la chambre d'hôtes où je loge, je m'assieds pour lire « L'Indépendant », le journal de Norbert Zongo, dont l'âme semble « m'encourager dans mes activités. » Et là, je tombe sur un jeune Burkinabé, qui a vécu trois mois à Mons, mais qui surtout travaille pour Amnesty international, et prépare la journée du 8 mars. Il m'apporte « le » contre-champs que j'attendais, et fustige la course à la dépense et à la fête pour une journée dont les femmes semblent, selon lui, perdre de vue les significations réelles. Walaï, quelle chance ! Si dieu veut m'encourager dans mes activités, il ne lui reste plus qu'à monter mon sujet radio, dêh ! Une fois qu'il aura servi une assiette de riz à tous les Burkinabés.
N.B.: le pagne à dominante mauve est celui de l'an dernier, la coupure de courant quotidienne m'a empêchée momentanément de publier le motif 2010, à dominante orange, mais il paraît que Dieu suit les activités des électriciens de Ouaga.

5 commentaires:

  1. Et qu'en disent donc les hommes de cette journée des femmes ? J'ai vu que ces fêtes avaient un thème... quel est-il cette année ?
    Très marrant à lire ! On s'y croirait ! ;)

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  2. La photot de gauche est à l'envers. Tu dois la faire pivoter de 180°
    YD

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  3. Les hommes pensent que les femmes s'émancipent une seule journée et oublient le lendemain la signification du 8 mars. D'autres pensent que ça peut faire évoluer les mentalités. Quant au thème, c'est l'éducation et l'alphabétisation, représenté sur un médaillon du pagne dont le motif représente des chaînes qui se brisent. Cette année, le coeur de la fête a lieu à Koudougou, endroit où son formés tous les enseignants du pays.

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  4. J'adore les reportages saupoudrés d'humour vanhoenackerien!

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  5. J'ai hate de te voir habillée avec ton pagne coloré.....
    Envoie nous vite des photos!
    Bisous, Anna.

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