dimanche 13 novembre 2011

Imprimer grosse affaire compliquée


Comment j'ai frôlé l'ulcère à l'estomac en voulant simplement imprimer des documents dans un secrétariat public. « Bonjour, vous êtes occupée, là, maintenant ? » J'ai un doute : je sens que la go qui passe en revue ses ongles peints à la Kandinsky va me dire « Mon vernis sèche, même, faut passer plus tard ». Mais elle répond : « Je suis disponible, c'est quelle affaire? » C'est juste affaire d'imprimer des documents (une broutille, en théorie...)
L'écran de l'ordinateur est toujours sous plastique, pour ne pas le gâter par la poussière. L'impression sur la petite imprimante à jet d'encre modèle 1998 prend plus d'une minute par page et j'ai 300 pages. « Euh, ma copine, si tu imprimais noir blanc, là, et brouillon, ça va moins durer, non ? » (Manipulation impression brouillon : 45 secondes pour trois clics) C'est un tableau Excel, et j'aimerais que toutes les infos apparaissent sur une seule feuille. « Euh, ma copine, mets feuille en format paysage, là, ça va sortir mieux. » (Manipulation : 1 minute 30.) Aïe... il va falloir réduire à l'impression. « Tu pourrais imprimer à 85% ? » Là, l'employée me fait des yeux gros comme si elle avait vu la sainte vierge en string léopard débouler dans son bureau. Le temps que la go du secrétariat public trouve comment faire, le soleil a eu le temps de tourner pour entrer par la fenêtre et chauffer le dossier de ma chaise en métal. Ca brûle dêh !
Arrive alors la phrase qui tue, et qui me fera sortir du bureau à la nuit tombée. Total : 1h30 pour imprimer 30 feuilles : « Eh, moi j'ai appris Excel 2003, dêh ! Pas Excel 2007 ! » Juste pour rappel, nous achevons l'année 2011. Ma copine est restée bloquée en 2003, moi en 2007. En revanche, sa soeur est une pro du 2007, et elle la bipe : « Faut venir, y'a une Blanche avec grosse affaire compliquée, dêh !... Ahan... Ahan... Dans 5 minutes ? » Moi : « Noooon ! Faut lui dire de venir tout de suite ! » Parce que je sais comment ça marche ici : « Tout de suite » = dans 15 minutes, alors « 5 minutes » = une demi heure. Donc : « Immédiatement ! C'est urgent ! C'est une question de vie ou de mort ! », c'est les mots clés pour activer les copines à la tâche.
La soeur arrive, et mon ulcère se creuse: « Eh! Si on enlève des cases du tableau, là, « supprimer cellules », ça va pas faire plus petit petit ? » NOOON ! Ne touchez pas au contenu du document ! « Alors faut faire tableaux qui rentrent dans feuille, dêh ! » C'est un peu vrai. Mais vous voulez pas que je les recopie à la main tant qu'on y est ? « Si on fait modifier tableau, là-même, c'est bien. » NOOOON ! Ne touchez à rien DANS le document ! Comment vous dire ? Il faut juste changer le format d'impression... « On va appeler mon cousin. Allô? Mouais, ça va et chez toi ? Bon, y'a une Blanche ici, avec grosse affaire compliquée Excel 2007 (blabla)... Oui, tout de suite. » Quoi ? SUR LE CHAMP tu veux dire ! On va pas y passer la nuit, non ? On a imprimé 30 feuilles en une heure et demie et j'en ai 300. Vous voulez gagner clients ou voulez les tuer ? « On va vous apporter de l'eau. »
La nuit est tombée. Quand le cousin est arrivé, il a dû allumer les néons, et tous les moustiques du coin m'ont fondu dessus. Stylé dans son t-shirt moulant et ses lunettes de soleil alors qu'il fait nuit, il convertit mon tableau Excel 2007 en Excell 2003. Sur ce, je dis à la go : « Bon, ma copine, maintenant que tu maîtrises, même, je te laisse les fichiers à imprimer, je viens les chercher demain matin. » Je rentre soigner mon ulcère.

vendredi 25 mars 2011

N'oubliez pas de ne pas mettre votre ceinture


Ma tantie de Ouaga, Tantie J., elle a une voiture « Au revoir la Belgique » qui a au moins vingt ans, mais en âge africain, elle n’en a que huit, puisque ici, une voiture est considérée comme neuve lorsqu’elle arrive au port de Lomé (Togo.)
Je monte dans la Toyota Corolla modèle 1990, où tantie J. a tenté de faire installer la clim’. C’est un peu fou quand on voit la voiture, mais je me rappelle que j’ai failli y cuire l’an dernier à la même époque, sur la route du Mali, et donc je ne me moque pas. Bref, une fois mes fesses posées sur le siège passager, j’entame le mouvement pour attraper la ceinture de sécurité, et tantie me dit : « Eh, on connaît pas ça ici ! » La dernière fois que j’ai entendu cette phrase, c’est quand mon ami peulh, B., a accepté la barre de céréales que je lui tendais, pour essayer, parce que : « Eh, on connaît pas ça ici ! » Il voulait me signifier qu’ouvrir l’emballage en aluminium, c’était pour lui toute une aventure. Une heure plus tard, je retrouvais le papier alu au milieu de la piste en brousse que nous avions empruntée, puisque ici, tout se jette par la fenêtre de la voiture. Note pour plus tard : récupérer tous les papiers alu de toutes les barres de céréales que je propose.
Dans le cas de la ceinture de sécurité, le « Eh, on connaît pas ça ici !», c’est tout de même pas petite affaire d’alu, dêh ! Surtout que le pare-brise est constellé d’éclats et que j’ai pas envie de me retrouver la tête au travers quand ma tantie J. va percuter un âne ou un vendeur de poulets à moto. Je lui explique que je vais tout de même mettre la ceinture, que « déjà, dans les taxis, elles sont toutes coincées et que je risque ma vie six fois par jour, alors là, tu comprends tantie, puisqu’y a ceinture même, je vais appliquer principe de précaution à l’occidentale. » Peine perdue, elle me répond : « Eh, mais tu vas te salir, laisse ça ô ! » Depuis le port de Lomé, la ceinture qui n’a jamais bougé d’un millimètre a accumulé huit ans de cette poussière rouge qui vole dans Ouaga. Au moins si on a un accident, je mourrai propre.

mercredi 16 mars 2011

Mais tu n'as pas compris non?


Au Burkina, je m'appelle Sarline. CH devient S, même à l'écrit : les tickets de bus à mon nom, c'est Sarline, sur le papier collant qui désigne mon pagne à coudre, c'est Sarline. Jusque-là, pas de quoi fouetter un sat. Ca devient plus compliqué quand quelqu'un vous dit : « Maquis, là, est plein de mousse ! » Plein de bière ? Ou c'est soirée mousse oubien y'a carrément mousse au chocolat ? Le maquis est tenu par des musulmans, y'a pas bière et encore moins disco pour soirée mousse. « Tu n'as pas vu mousse non ? Ca vole de partout pas moyen de manger tranquille ! » Le maquis était donc déconseillé parce que plein de mouches...
Autre particularisme du français du Burkina : le J devient Z, et là, c'est drôle. L'autre jour, je demande à ma copine F. ce qu'elle a fait avec le pagne qu'on a acheté ensemble. Elle me répond : « Zé couzu zupe. » Cool, ze t'offre un zu ?

dimanche 13 mars 2011

"Sortir", le mot Cube Maggi


« Sortir » au Burkina est bien plus riche de sens que chez nous. « Sortir », c'est un peu un mot « cube Maggi », il est utilisé à toutes les sauces. Et ça, il faut un peu de pratique pour le comprendre. Par exemple, au maquis, la première fois que vous commandez des brochettes, le garçon commence souvent par vous dire : « Je vais voir », pour s'assurer qu'il y en a ou qu'il en reste. S'il ne fait pas ça, vous perdez un temps fou parce qu'il prend d'abord la commande, vous pensez qu'il y a brochettes, et puis « brochette est fini », et vu la chaleur, vous avez déjà avalé une bière alors qu'il faut seulement recommander un plat qui n'est « pas fini. »
En revanche, il arrive que le garçon vous dise : « Brochette n'est pas sorti. » Ah... donc brochette est là ? « Non, brochette n'est pas sorti dêh ! » Je ne comprends pas : y'a un type ici qui s'appelle « Brochette » et qui n'est pas « sorti », et en quoi ça concerne mes brochettes à moi ? Bref, ça signifie que vos brochettes là, vous pouvez vous asseoir dessus, le patron du maquis n'a pas acheté de filet au marché.
Ensuite, il y a la version palabres autour des chiffons. Pour le 8 mars, ma copine S. préférait le pagne « journée de la femme » couleur chocolat plutôt que couleur verte. « Vert, là, n'est pas joli. Chocolat est joli, mais chocolat ça sort dêh ! » Ah... c'est vendu en grandes quantités et tout le monde va le porter ? « Non, ça sooooort, walaï ! Ca sort trop fort dêh ! » Oula ça a l'air grave ton affaire. C'est trop trop chic et ça coûte cher oubien? Bref, « ça sort » signifie que la couleur chocolat dégorge. Que t'as intérêt à ne pas laver le pagne avec d'autres vêtements. Que tu dois le passer d'abord à l'eau avec du vinaigre, mais ne surtout pas faire comme moi, et laver « pagne qui sort » dans la baignoire, sauf si vous avez « Monsieur Propre spécial émail » pour voisin de palier, ou que votre baignoire est couleur chocolat, auquel cas ça fera ton sur ton.
Sinon, il reste le classique « Il est sorti. » Mais il y a bien sûr une subtilité dans la version tropicalisée de cette phrase en apparence inoffensive. Vous devez absolument rencontrer T., le dernier intervenant de votre reportage qu'il devient ultra urgent d'envoyer. Vous vous assurez que ce matin, T. est bien à son bureau à 8 heures, prêt à répondre à vos questions. Vous débarquez au dit bureau, et la secrétaire vous dit : « Il est sorti, il va arriver. » Et si en plus elle ajoute : « Asseyez-vous » et qu'elle vous sert un verre d'eau, c'est qu'« Il est sorti » à l'africaine. Et donc, « Un certain temps. » Et là, il faut se maîtriser pour ne pas sortir de ses gonds.

jeudi 10 mars 2011

C'est où ton problème ?


Grosse palabre avec ma copine S. depuis une semaine : ces vieux blancs qui se tapent de jeunes filles Noires. Là où je loge, il y a un vieux Blanc aux cheveux blancs (et dans 3 cas sur 4, ils ont du bide) qui est « accompagné » par une go super stylée, tellement stylée qu'elle combine coiffure asymétrique et coloration. T., ma copine coiffeuse dans le quartier qui fait des tresses toute la journée n'en revient toujours pas : « Tu as vu ça non ? C'est le salon du design sur sa tête oubien ? »
Souvent, les go stylées qui sortent avec un Blanc se la pètent et regardent leurs soeurs de haut. C'est le cas de H. et sa coiffure de magazine « Maison et jardin ». Alors, avec ma copine S., ça colle pas des masses. Quand H. part le matin, elle ne ferme pas le portail derrière elle.
S : - « Eh ! On ne t'a pas appris a fermer la porte non ? »
H. - « C'est où ton problème ma soeur ? Moi je suis cliente ici, tu es payée pour fermer la porte ! »
S. : « Case du village n'a pas de porte, viens ici, je vais te montrer comment ça marche. »
H.: - « Ouh mais tu veux me fatiguer plus que la chaleur dès le matin oubien ? »
S :- « C'est dans quel film tu joues là ? Fespaco t'est monté à la tête ô ! » (Fespaco : le festival de cinéma qui vient de s'achever.)
Bref, si je n'interviens pas, palabres peuvent durer jusqu'à ce que l'ombre tourne autour de l'arbre.
Ma copine S. s'assied près de moi pendant le petit dej, et un autre débat commence : je critique mes tontons, ces vieux Blancs qui pensent s'acheter une virilité et une nouvelle jeunesse avec leurs liasses de billets CFA. Ma copine S. est sans pitié envers ses soeurs qui aguichent les vieux Blancs pour leur soutirer de l'argent. Là-dessus, un jeune, la trentaine, assis devant nous, nous interrompt : « Euh... les filles, je dois vous dire que moi je fais pareil, sauf que je suis plus jeune. »
S. et moi : - « ... »
En effet, P. n'est pas que cinéphile, il est aussi pervers ! Il profite du Fespaco pour s'envoyer une fille (ou deux) différente par soir. Et quand son téléphone sonne, il dit : « Oh non, v'la l'autre saucisse ! » (Je crois avoir deviné que « saucisse » désigne dans son vocabulaire très imagé une fille qui hésite à coucher.) Et il a fallu que ce crétin croise ma route. Donc, avec S., on cancane tous les soirs dans la cuisine (un endroit où il ne lui viendrait même pas à l'idée de mettre les pieds.)
Comme je suis obligée de me farcir ses histoires à la con pour ne pas pourrir l'ambiance dans la chambre d'hôtes, j'apprends qu'il a une officielle au Bénin, mais que sa « deuxième maîtresse » arrive demain du Togo. La « première », il a dû la rêver tellement ce type est informe dans son t-shirt trop large. Le hic, c'est que la famille de l'officielle habite Ouaga. Résultat : elle est venue le visiter en s'incrustant 4 heures, durant lesquelles la go du Togo, à peine débarquée du bus non « climé », a dû patienter enfermée dans la chambre.
Moi, qui pour venger mes soeurs, avais préparé une petite phrase assassine pour le défragmenter devant sa « 2è maîtresse », c'était foutu, elle est au courant. Quoiqu'elle lui a fait croire que son bus coûtait 100.000 CFA en coulant son budget pétasses, et là je dis bravo. Il me raconte l'histoire de la visite de la belle-famille, et là je m'adresse à sa copine togolaise : « Tu as dû être ravie d'attendre enfermée quatre heures dans la seule chambre pas climée ! T'as fait un macramé avec ses chaussettes en attendant ? » Et là, c'est lui qui me répond : « Ben elle a l'habitude, elle est africaine ! » Ils sont trop graves ces Africons.
H. était une fille sympa en fin de compte, on a fini par causer, elle me posait plein de questions sur l'Europe, la mode, etc. Le vieux blanc est parti. Je pensais ne plus la revoir ma nouvelle copine un peu paumée, qui se prostitue pour payer ses études. Et puis hier, je me suis installée au bar d'un hôtel chic pour un petit moment de grand luxe : un expresso et du wi-fi sans coupure. Au bord de la piscine, j'aperçois H., visiblement habituée à la piscine de l'hôtel Indépendance où les riches occidentaux font leur marché. Elle sait nager, ça prouve qu'elle a déjà du métier...

mardi 8 mars 2011

Poulet sauce Fanta


Saluer quelqu'un ici prend du temps : « Et comment va votre mari ? Et vos enfants ? Aaah, bien. Et la soeur ? Bien des choses à la famille ! » Comme dans cette réplique d'une Blanche à Paris, dans le très bon film « Notre étrangère » projeté au Fespaco : « Ca prend du temps d'accord, mais il faut déjà avoir un mari, des enfants et une soeur! » Une réplique qui n'a fait rire que les Blancs dans la salle.
Bref, si saluer quelqu'un prend du temps, imaginez la longueur d'une cérémonie de clôture du festival de cinéma. Ca duuure. J'ai posé mes fesses sur un demi-siège du stade du 4 août à 16h, je les ai levées à 22h, après un feu d'artifice qui a créé diversion pour la sortie de Blaise (le président) et sa femme Chantal, habillée comme un sapin de Noël.
En tout, six heures sous 40° avec un demi-litre d'eau, mon record. C'est là que je vois arriver comme le Messie un vendeur de boissons. Mais dans sa bassine, toutes ses sucreries étaient chaudes. « Eh, avec ton Fanta, là, on peut rien faire à part sauce de poulet. Si j'ouvre bouchon de ton bidon, là, fumée va sortir. Ca se boit dans une tasse oubien ?» Dans la tribune, tout le monde palpe les bidons dans l'espoir d'en trouver un frais, mais tout le monde dit : « Faut mettre des glaçons sur tes sucreries ! Tu penses que tu vas vendre bidons chauds ? » Le type est resté avec ses 20 kilos de sucreries dans la bassine. En Europe ce serait une super combine pour rester ni vu ni connu dans la tribune présidentielle et voir le spectacle de plus près.

vendredi 4 mars 2011

Badge est pas sorti et festival est fini


Festival de cinéma J+7 et je n'ai toujours pas mon badge presse. Le Fespaco s'achève demain, je ne sais pas si ça vaut encore la peine que j'aille le chercher, sauf que le service des badges a gardé ma carte de presse, et là, c'est affaire sérieuse. J'ai fait la demande par mail une semaine avant mon arrivée. J'arrive au « Palais des festivals », au guichet presse, et là on me dit : « Badge n'est pas encore sorti. » Je vais au bureau des badges, une heure d'attente, et la responsable me dit : « Date limite, là, c'était décembre. » Là, je sens que ça va pas être simple. L'an dernier, j'étais arrivée pour les deux derniers jours, sans demande préalable, et elle m'avait filé quatre badges dans la minute pour moi et mes amis. Entre temps, la responsable a dû faire un stage au festival de Cannes et badge, là, c'est devenu grosse affaire.