samedi 6 mars 2010

Combien pour "ambiancer " les reportages ?


Les gens de mon quartier me prennent pour une folle. L'autre jour, un gars qui m'observait du coin de l'oeil en peignant des chaises m'a dit : « Toi, tu es trrrès spéciale » (en roulant les R.) J'ai failli lui répondre : « Et toi ô, pour peindre chaises, là, ombre c'est pas mieux ? Soleil tape sur ta tête, dêh ! » Il est vrai que mon métier me pousse à faire des choses qui peuvent paraître bizarres aux gens du quartier de Ouidi, où je loge, et que je mets à contribution pour mes reportages.
L'autre jour, il me manquait une illustration sonore pour mon sujet radio sur le pagne du 8 mars. Ma chambre se situe au-dessus de « Drabo couture », qui confectionne des costumes. Je demande au tailleur : « Je peux enregistrer bruit de ta machine à coudre, là ? » Il m'a regardée comme si je venais de lui dire qu'il y a un éléphant dans ma douche. Il a dû penser : « Chaleur, c'est pas bon pour les Blancs, dêh ! »

J'entame alors une explication : « Bon, quand vous écoutez RFI, y'a pas que des gens qui causent dans le poste, il y a des sons d'ambiance. » Voilà, j'avais trouvé le terme : « Tu peux ambiancer mon reportage ? » (« Ambiancer » est très utilisé ici, surtout quand il s'agit de chauffer une soirée.) Et là, ça n'a pas loupé, dès qu'il a compris, il m'a lancé : « Tu me donnes combien ? » Rien, bien sûr, excepté toute ma gratitude. Et désormais, je ne passe plus devant Drabo Couture sans saluer le tailleur en chef avec les formules d'usage : « Comment va la famille ? Et les activités ? », suivi d'un « Lafi, lafi bala », qui en mooré (la langue de l'ethnie majoritaire, les Mossis), permet de souhaiter « la santé, la santé seulement. »
Ensuite, pour la version papier du même reportage, j'avais besoin de photos. Je me rends avenue de la Nation, la rue où on trouve le plus de pagnes, exposés sur des vélos et des mobylettes, rangés le long du « goudron » (étant donné que peu de rues sont asphaltées, « le goudron » est un repère, comme les feux de signalisation.)
Et bien les vendeurs de pagnes, là, si je ne leur glisse pas une pièce, ils refusent de se faire prendre en photo en train de vendre leurs tissus. « Combien tu donnes ? » Notez qu'en France, des types se laissent prendre en photo, et une fois le cliché publié, ils sont capables de vous attaquer en justice pour défendre leur droit à l'image, et c'est à la justice qu'ils disent « combien tu donnes ? »
Je trouve une gentille dame qui accepte de faire semblant de regarder les pagnes, mais là, le problème, c'est qu'elle veut aussi absolument regarder l'objectif. C'est très courant dans les journaux d'ici ou même dans les éditions régionales de chez nous, mais pour mon journal, là, « c'est pas bon. » Et comment dire à cette charmante figurante que « Si tu regardes objectif, là, pause est gâtée ! » (« La photo est ratée. ») Alors, il faut créer une diversion : « Oh, attention où vous marchez ! », et là, elle regarde ses pieds, mais sur la photo, on croit qu'elle regarde le tissu ! Bref, c'est pas facile ô faire photos.
Retour au reportage radio. Il me manque de la musique. Je pique au propriétaire de ma chambre un joli titre d'un chanteur burkinabé que je viens de découvrir et que j'adore, Victor Démé. Mais il me manque un son de femmes qui chantent. Walaï ! J'ai mis trois jours à convaincre mes copines F. et S. de bien vouloir fredonner à mon micro un chant en mooré. Même la petite N., qui a quatre ans, s'est lancée avant elles dans « Une souris verte », en roulant les R à la burkinabè. Mais je vois mal comment j'aurais pu justifier une illustration sonore qui dit « trempez-là dans l'huile », dans mon sujet sur l'émancipation de la femme.

2 commentaires:

  1. Décidément, les chutes (fins d'article)sont trop savoureuses !
    Demain, grand jour pour ambiance ! La vraie !

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  2. C'est super de suivre tes aventures !
    Tes articles sont supers vivants, on les vit et on se marre en t'imaginant dans la situation. Il a raison ton voisin, t'es effectivement une reporter "trrrrrrès spéciale";-)! Trop gai, ces 5' d'évasion que tu nous offres grâce à tes articles..On en veut encore et encore...

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