lundi 22 mars 2010

Poulet, là, c'est affaire sérieuse


Une chance que j'aime le riz : riz sauce, riz gras, riz blanc pour les jours de dérèglement de « mon petit ventre, tout ce que je mange, c'est pour toi », comme dit la chanson qu'on apprend ici à l'école. Une soeur qui vit au Malawi depuis plus de 20 ans m'a dit un jour : « Si tu ne manges pas en Afrique, c'est l'Afrique qui te mange. » Je pense souvent à cette phrase, surtout quand je vois des enfants qui vont à l'école le ventre vide, et se tordent de douleur devant leur cahier, dont les pages, forcément, restent blanches.
Mais bref, mes chroniques se veulent légères comme plat de poisson grillé, là même, et je propose de causer cuisine. « Y'a quoi ? » est la phrase qui permet au serveur de dérouler le menu. Dans la majorité des maquis, on vous répond : « Poulet, riz sauce, riz gras. » Avec un peu de chance, il y a plusieurs sauces : tomates, aubergines ou arachides. Souvent, menu varie, et « y'a alocos », des rondelles de banane plantin frites. Quand c'est grand luxe, « y'a petits pois, soupe de poulet », ou même couscous ô. Mais là, il faut être averti : « couscous » signifie un bol de semoule avec une cuillère à café de sauce et trois morceaux de légumes pour la déco.

Quand « y'a poulet », je m'amuse toujours à demander : « Poulet, là, il a quel âge ? », parce qu'un jeune poulet est toujours plus tendre, il n'a pas eu le temps de connaître des tracasseries. Mais attention, ô, poulet ici, c'est pas petite affaire ! Lors de mes précédents voyages au Burkina, quand un plat de poulet arrivait sur la table, je me jetais sur une cuisse : d'abord, c'est la partie que je préfère en goût, et puis c'est aussi la plus facile à manger avec les doigts sans être trop ridicule. Ici, la peau se dévore, les os se croquent, et il est mieux vu de laisser un os bien nettoyé, comme si vous vouliez l'exposer en vitrine du muséum d'histoire naturelle.
Et puis un jour, j'entends un reportage sur RFI, où des vendeurs de volaille ouagalais expliquent que chaque partie a une signification. Walaï ! Cuisse, là, c'est affaire sérieuse. Dans la radio, le vendeur explique : « Quand tu invites une fille au maquis, tu lui offres un poulet. Si elle choisit une cuisse, ça veut dire qu'elle prolongera la nuit avec toi. Si elle choisit l'aile, c'est pas bon. »
Résultat, à mon retour au Burkina, je me suis abstenue de crier : « Je veux une cuisse ! » Mais après recoupement des sources (déformation professionnelle), je m'aperçois que partie du poulet plein de sous-entendus, là, c'est dos ! « Prends le dos et couche-toi là », dit-on au Burkina. Quant au cou, il est réservé au chef de famille, tandis que la tête revient souvent aux enfants, dans les foyers qui s'imaginent que dévorer le cerveau rend plus intelligent.
Bien qu'avertie sur les us et coutumes relatifs au poulet, reste un problème : comment fait-on quand le maquis n'est pas éclairé ou qu'il y a coupure ? Beaucoup de Burkinabè ont opté pour un téléphone portable avec petite lampe intégrée, mais l'autre jour, y'avait coupure et pas de petite lampe. En tâtonnant dans le plat, j'ai pu identifier une cuisse. Mais à la fin, je suis tombée sur un morceau très bizarre, dont la chair avait un goût inédit. J'avais croqué dans tête, dêh ! Il a fallu avaler une Brakina entière pour m'en remettre. Mais comme tout est bien grillé, la mésaventure s'est arrêtée là.
Maquis où j'ai mangé poulet, là, il faut que je vous le décrive. Le jour, c'est un terrain vague, une plaine en terre battue. A la nuit tombée, vers 18h, trois maquis y installent des tables et des chaises, avec au moins dix mètres de distance entre chaque table. Ca change de l'Europe, où on mange sur les genoux du voisin. Et puis, y'a pas courant, sauf très loin, là où ces maquis exposent sur des tables les poulets et les poissons à griller ou braiser.
Ce maquis est donc surtout fréquenté par les deuxièmes bureaux (les couples adultères, voir chronique précédente), afin que monsieur ne soit pas identifié en présence de madame-qui-n'est-pas-sa-femme, dont il se pourrait même que le mari de cette dernière soit avec une autre dame à une autre table. Mais il fait si noir et le terrain est si grand que tout ce petit monde ne pourrait même pas se reconnaître.
Je suis donc persuadée que dans ce contexte, il peut y avoir méprise sur le choix de la partie du poulet. Et j'imagine la scène :
- « Comment ça t'as pas mangé dos ? »
- « Moi j'ai pas touché dos, dêh, j'ai pris cuisse ! »
- « Ah oui ? Et si moi non plus j'ai pas mangé dos, c'est qui, là même, qui a pris dos ? »
Seul le chien qui erre sur le terrain, à la recherche des os jetés par terre, connaît tous les petits secrets des deuxièmes bureaux du maquis.

1 commentaire:

  1. Et le croupion du poulet... c'est pour qui ? Et là le sous-entendu, c'est quoi ?
    Mazette !!! Il faut vraiment faire gaffe à ce qu'on fait et à ce qu'on dit !!

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